Statues et imageries dans neuf églises du Parc régional.

Publié le par Petits potins_10

L’exceptionnelle exposition consacrée au « Beau XVIème siècle » à Troyes est encore dans toutes les mémoires. (Le dossier pédagogique d’accompagnement est visible ici :

http://www.sculpture-en-champagne.fr/pdf/Le-Beau-XVIe-Dossier_enseignants.pdf )

 

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L’Association des amis du Parc naturel régional de la Forêt d’Orient a eu la bonne idée de proposer un circuit guidé, afin de découvrir les œuvres dans leur cadre habituel, c'est-à-dire souvent dans de petites églises. Malika Boumaza,  adjointe du Directeur du développement culturel au Conseil Général de l'Aube, et médiatrice culturelle lors de l’exposition avait accepté d’accompagner des visiteurs particulièrement motivés.

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La visite, programmée sur une journée permit de découvrir ou de retrouver les chefs d’œuvres présents dans neuf églises sur le territoire du PNR. Il ne s’agissait naturellement pas d’aborder l’ensemble des statues présentes dans les 57 communes que compte le Parc !

On ne peut qu’admirer la ferveur et la générosité des donateurs qui dotèrent bien souvent de modestes édifices d’œuvres remarquables. Qu’elles soient parvenues jusqu’à nous n’est pas moins « miraculeux » si l’on songe aux bouleversements et ravages que la région eut à subir depuis la fin du moyen-âge et le début d’une renaissance, ferment de redoutables conflits religieux. Doit-on imaginer que la statuaire bénéficia ici de la protection de Saint Barthélémy ?

Une imagerie religieuse raffinée et mythique.

 

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Hauts reliefs ou rondes bosses sont, tout comme les vitraux, des images à lire et des invocations. Les scènes de la vie de Jésus et de la passion suscitent la compassion : les larmes, le sang, les instruments des supplices sont figurés avec un réalisme méticuleux rehaussé de couleurs suggestives. Sculpteurs et peintres suivent des modèles pour ne pas dire des modes. Le thème de « L’éducation de la vierge » si fréquent et présent notamment à Montiéramey (environ 1530) en est une bonne illustration. L’histoire de la grand-mère de Jésus n’apparaît pas dans les évangiles canoniques mais dans un texte du IIème siècle (apocryphe de Jacques) puis dans le « pseudo-Mathieu » (fin VI ème siècle). Elle est connue en Orient au Vème siècle (Empereur Justinien) et son culte ne sera reconnu en occident qu’en 1382 (Pape Urbain VI). Il sera particulièrement développé au XVIème siècle.

 Ce motif symboliserait l’histoire du salut chrétien. Les représentations de l’éducation de la vierge par Anne et celle de Jésus par Joseph sont d’abord les traductions en images de l’histoire du salut assimilé par Paul de Tarse à une éducation. « Le dessein de Dieu se révèle dans le temps ».

L’essor de ce thème au XVI ème siècle ne se réfère pas seulement à ces profondeurs théologiques. Le thème de l’éducation et de la transmission parentale intervient dans une société- celle de la renaissance- ou les valeurs traditionnelles sont remises en cause. (« Histoire des mentalités religieuses… » Michèle Ménard)

Mais l’artiste a tenu à représenter la scène avec élégance. Les costumes d’Anne et de Marie évoquent la prospérité économique et les dernières évolutions de la mode : franges, bordures brodées, ceinture de perles, tissus fins et travaillés, bijoux et jusqu’à l’aumônière qui pend bien en vue dans l’ouverture de la robe.

L’aumônière est à la fois symbole de pauvreté et de prodigalité. François d’Assise y met le produit des collectes. Elisabeth de Bohême est représentée tenant dans sa main droite une aumônière renversée.

On est assez loin de l’austérité hiératique de statues plus anciennes. Les spécialistes ont tout dit de la délicatesse et du charme qui émane de ces représentations. Cette « Education de la vierge » en est une splendide illustration.

Des représentations codifiées et symboliques.

Il est souvent dit que sculptures et vitraux avaient pour objectif d’instruire des populations rurales pour l’essentiel illettrées, sortes de bandes dessinées ou de figurations essentiellement pédagogiques. Nombre d’auteurs cependant s’étonnent de la profusion d’éléments en relation avec des préoccupations théologiques savantes. Ces deux niveaux de lecture ne sont pas forcément contradictoires. Face au retable de Géraudot (1545) – actuellement en restauration partielle – on voit se dérouler le thème classique de la passion et de la résurrection.

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Entourant le sujet principal de chaque scène (le Christ portant sa croix, la crucifixion, la résurrection) une multitude de saynètes secondaires donnent vie aux tableaux sculptés à la manière flamande.  (Description détaillée de l’église de Géraudot dans le Courrier scientifique du PNRFO n°4 Hiver 1978)

La disposition et la représentation de la mise en croix relèvent de conventions et s’inspire de traditions diverses. Elles ont évolué au cours du temps. Les traducteurs s’interrogent sur le sens des mots désignant l’instrument du supplice en grec et en latin : poteau ? Simple barre transversale fixée sur un pieu ? Croix selon la tradition chrétienne occidentale depuis le Vème siècle ? Les églises d’Orient y ajoutent des traverses.

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Certains peintres ont  opté pour une représentation en T : le sacrifié portant jusqu’au poteau fixé en terre la partie horizontale (patibulum) La seule découverte archéologique (Jérusalem 1968) suggère un dispositif de ce type, les deux pieds du crucifiés étant fixés par un même clou traversant les chevilles (jambes disposées en biais). Les bras devaient être  cloués au niveau des poignets ou des avant-bras.

D’église en église, nous retrouverons les épisodes de la vie de Jésus telle qu’on la représentait à la fin du moyen-âge et au début de la renaissance. A Rouilly, la célèbre Vierge à l’enfant, coiffée à la champenoise,  exprime une douceur maternelle : elle regarde l’enfant qui semble fixer un petit vase dont on nous apprend qu’il représente une boîte à onguents (pyxide) objet funéraire « prescience d’une fin tragique… » (Véronique Boucherat. Catalogue de l’exposition troyenne). Au cou de l’enfant nu,  un collier de corail, porte bonheur traditionnel italien.

 

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Elle voisine avec une vierge couronnée (du 14 ème siècle) portant la branche de rosier : « La verge d’Aaron symbolise la conception miraculeuse, puisqu’elle fut déposée dans l’arche d’alliance et y produisit son fruit sans être plantée .Nombres.17.8… » (Geneviève Bresc-Bautier. op. cité).

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Elle annonce aussi par ses épines la passion du Christ. Sur le mur de gauche, une vierge à l’enfant en bois, rustique et figée, permet de comparer les styles et les époques.

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Une souffrance édifiante.

Le Christ de pitié (christ aux liens) de Montreuil (1519) offre l’image d’une souffrance intense et de la résignation. Le visage ruisselle de sang, les veines ressortent sous la peau et le corps dénudé porte les marques de la flagellation. La tunique (ordinairement pourpre) est bleue. Au moyen-âge, cette couleur supplante peu à peu le rouge dans la symbolique aristocratique.

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Cela résulterait du coût exorbitant (donc prestigieux) des pigments nécessaires à sa fabrication (Lapis Lazuli). On notera aussi que dans l’antiquité, l’azur évoquait le domaine des Dieux et de l’au-delà, avant de devenir la couleur associée à Marie puis à la monarchie française.

 Le crâne au pied du supplicié est plus traditionnel : il rappelle le Golgotha (= crâne), lieu des exécutions à Jérusalem. On imagine l’attente désespérée du condamné  alors qu’on prépare le supplice l

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Selon une légende issue du « Livre d’Adam oriental », le crâne rappellerait également le péché originel d’Adam. Noé aurait ordonné à son fils et à son petit-fils de transporter les ossements d’Adam dans un lieu nommé Golgotha au centre de la Terre. Les quatre côtés de la terre s’ouvrirent formant une croix. Les ossements déposés, la Terre se referma. Le Christ, par son sacrifice aurait racheté la faute d’Adam sur la croix faite du bois de l’arbre du péché, un pommier donc !

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  La statue devait inciter les fidèles à se remémorer la passion destinée au rachat de l’humanité. Le nom des donateurs est inscrit sur le socle : "L'an 1519, Phelippon Griey et Jane sa femme… ». La plaque située à gauche est plus originale. Elle n’appartient pas aux objets habituellement associés à la passion. Ce serait une planche à clous pendue entre les jambes de Jésus lors de sa montée au calvaire. J’ignore où il est fait mention de cet instrument supplémentaire. Un objet semblable se retrouve aux pieds du Christ portant sa croix dans l’église St Nicolas à Troyes. Le motif apparaît au XVIème siècle dans l’Europe du  nord (Notice 25. In « le Beau XVI ème siècle… » p 258.

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 A Dosches la vierge de pitié  (XVIème) récemment restaurée montre un visage aux traits rudes supportant le corps d’un Christ déjà raidi par la mort qui tranche avec des représentations ultérieures, dans lesquelles le visage de Marie plus expressif se penche sur un  corps assoupli « moins mort qu’endormi. », parfois « indemne de tout stigmate », semblant manifester une paix retrouvée annonciatrice de la résurrection. Cent quinze statues inspirées de ce thème ont été recensés dans l’Aube. Ces « images » remplissent trois fonctions principales selon Marion-Boudon-Machuel : « Instruire les fidèles, soutenir la mémoire et enfin inciter à la prière, notamment par l’éveil des émotions. ». Maxence Hermant, en étudiant à la fois le monde des « Imagiers » et celui des commanditaires a montré la diversité des origines et des intentions. La Vierge de Dosches, semble retenir un corps qui lui échappe.

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La base est ornée des habituels ossements, allusion au calvaire et aux os fracturés du Christ.

La feuille de plantain s’étale largement. Plante vulgaire poussant au long des chemins, elle passait pour avoir des vertus médicinales utiles aux marcheurs donc aux pèlerins. Depuis la plus haute antiquité, on lui attribuait également un effet contre les affections de la vue : message destiné aux sceptiques ? Porteuse de graines elle serait associée à l’idée de germination, de propagation. Les graines réduites en farine peuvent être consommées et sont appréciées des oiseaux du ciel « qui ne sèment ni ne moissonnent »   Est-ce un hasard si les bretons  en faisaient un remède contre les morsures de serpents, le mal originel ? Nous la retrouverons sur nombre de sculptures.

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Les saints de tous les  jours.

Une foule de personnages dotés de pouvoirs magiques orne nos églises. Ils se présentent parfois comme martyrs, portent les habits sacerdotaux ou évoquent des légendes liées à la vie quotidienne. Ils étaient censés soigner ou intercéder auprès de la divinité. Nombre de récits concernant les saints et saintes des églises ont été compilés dans la « Légende dorée » de Jacques de Voragine rédigée dans la seconde moitié du XIIIème siècle, ouvrage qui fait suite aux martyrologes et aux « légendiers » cisterciens et dominicains. (Jean de Mailly, Vincent de Beauvais…).

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Les statues que nous verrons lors de notre circuit reflètent directement des préoccupations quotidiennes: la chasse avec St Hubert (Vendeuvre), la vie rurale avec St Eloi (La Villeneuve au Chêne), la fidélité féminine avec St Gengoul (Sacey), la charité avec St Martin (Sacey) Les représentations polychromes s’inspirent de modèles fréquemment reproduits ou, ce qui est plus intéressant, montrent une originalité à la mesure d’ histoires merveilleuses transmises jusqu’à nos jours, récits qui témoignent de l’extraordinaire créativité des clercs médiévaux ! Hubert vit-il réellement le Christ en croix apparaître entre les bois du cerf qu’il pourchassait ? La main de la femme infidèle serait-elle pétrifiée au contact de l’eau de la fontaine de Sacey ?

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Malika Boumaza décrypta le message  porté par la statue d’Eloi à La Villeneuve-au-Chêne. Elle montre Eloi jeune dans son atelier de maréchal ferrant occupé à chausser le sabot d’un cheval dont il tient une patte sous son bras. (On peut supposer que   l’animal patiente sur trois pattes à l’extérieur de la forge.)

Explication : ayant la réputation d’être bon ouvrier, Eloi se considérait comme « maître des maîtres et maître de tous » dans son art. Vint alors Jésus Christ sous l’apparence d’un  compagnon. Jésus sépara une patte du cheval, la prit sous son bras pour la ferrer. Il mit au défi Eloi d’en faire autant. Le jeune homme en fut incapable. Il reçut ainsi sa première leçon d’humilité (Légende du cheval à la patte coupée).

Nos compagnons rappelèrent les innombrables pouvoirs d’Eloi, patron des chevaux, des écuries, des laboureurs… et naturellement patron des orfèvres comme le dit la chanson avant de veiller à la bonne tenue  de Dagobert. Certains villages célèbreraient encore le personnage. Les chevaux nous dit-on, ne travaillaient pas le jour de sa fête.

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Gengoul à Sacey, porte la tenue de chasse d’un grand seigneur. Martin apparaît en costume du XVème siècle et non en uniforme romain. Une restauration récente  a rendu tout leur éclat aux sculptures.

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Le reflet d’une époque.

On a vu la volonté des  commanditaires : affirmer leur foi et souvent leur propre prospérité à travers des représentations respectant des codes et des modèles. Le donateur de St Gengoul, en habit de curé,  est agenouillé au pied de la statue. Ceux du Christ  de Montreuil ont fait graver leur nom. Les superbes champenoises, vierges ou saintes, portent leurs plus beaux atours. En même temps les souvenirs de la chevalerie sont présents. Le Saint George de Laubressel arbore fièrement l’armure des combattants. On s’interroge sur l’étrange et minuscule dragon qu’il terrasse. Est-il à la mesure de ce héros tant invoqué durant les croisades ? «  On vit sortir de la montagne des troupes innombrables montées sur des chevaux blancs…les nôtres reconnurent que les chefs de cette armée étaient les saints George, Mercurius et Demetrius …» (Bataille du 28 juin 1098 devant Antioche.) Intervention céleste et miraculeuse qui aurait contribué à la victoire des Francs selon le chroniqueur !

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Donations et commandes manifestent le pouvoir des notables. A Vendeuvre, face à la chaire, le « banc d’œuvre » était réservé aux membres du Conseil de fabrique. Paul, la Vierge et Sébastien dominent un ensemble imposa            nt du XVIème siècle où l’on voit aussi les armoiries des donateurs. La représentation de la cène est plus récente. Elle est due à Léon Moynet.

Le réalisme des représentations du Christ souffrant n’étonnait guère à cette époque. On ne crucifiait plus au XVIème siècle, mais le spectacle de la mort, la mise au pilori, les exécutions publiques, les tortures infligées par les tribunaux civils ou l’inquisition étaient présents à tous les esprits de même que les exactions des armées en campagne. Les scènes sanglantes de la « Passion du Christ », film controversé de Mel Gibson ont choqué certaines sensibilités modernes !

Enfin, tableaux et statues sont ornés d’objets, de plantes dont la signification nous échappe souvent. Les spécialistes se sont naturellement penchés sur cette question et nous disposons de travaux détaillés. Voir par exemple :

http://www.extra-edu.be/pdf/GF_Fleurs_10nov.pdf

Pour l’homme du moyen-âge, l’objet, sa représentation, ses pouvoirs sont étroitement mêlés. Les classifications sont liées aux couleurs, à l’aspect, aux formes et reposent parfois sur le jeu des mots, l’étymologie, la tradition. Ainsi se mêlent les paraboles bibliques, les vertus médicinales réelles ou supposées de végétaux et de minéraux, les interprétations des clercs. Au-delà de l’admiration portée à l’habileté des artistes (anonymes), un secours érudit est nécessaire. Ce rôle fut parfaitement rempli par Malika Boumasa.

D’autres journées ?

Les œuvres   ont bénéficié d’une attention particulière en tant que « chefs d’œuvres » recensés dans le Parc régional. Quarante statues remarquables ont été répertoriées, et d’autres de moindre notoriété méritent une visite. L’Association des Amis du Parc ne manque pas de perspectives en ce domaine. L’exploration du patrimoine issu de la sainterie de Vendeuvre, d’une toute autre nature, est également envisagée. Il y aura donc sans nul doute d’autres rencontres tout aussi passionnantes.

 G. Le Berre.

 

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